jeudi 13 janvier 2011

L'accident



« J’ai un rendez-vous, j’ai un rendez-vous, j’ai un rendez-vous, j’ai un rendez-vous, j’ai un rendez-vous, …. »
« C’est bon, on est au courant ! » lance ma petite sœur un peu exaspérée. Je viens à peine de raccrocher le téléphone que j’ai déjà exécuté quelques pas de ma danse de la victoire. Vous savez, les petits mouvements qu’on ne fait jamais en public, n’empêchent que j’ai un rendez-vous avec un garçon, et pas n’importe qui. Laissez-moi revenir juste quelques jours en arrière. 

Vous vous souvenez ma cousine, Alexia, la belle blonde féministe dont je vous ai parlé. Suite à notre discussion et après avoir abandonné tout espoir de me psychanalyser, elle m’a proposer de venir dîner chez elle avec quelques amis. Totalement honnête avec moi, elle m’avait prévenue qu’il y aurait surement un célibataire qui me plairait. Au début, j’avoue m’être renfrognée, l’idée d’un rencard organisé comme ça, c’était assurément son collègue Fréderic, l’informaticien, geek de service aux doubles foyers qu’elle voulait caser (oui, j’aime les clichés). Et comme j’ai un peu le discours de la fille désespérée, elle devait penser que je ne serais pas difficile.
J’ai pensé refuser mais évidemment ce n’est pas en restant cloîtrée chez moi que je deviendrais un couple. J’ai donc accepté à demi-mots.


Tous les ans, Alexia et Grégoire mettent les petits-plats dans les grands pour recevoir chez eux une dizaine de personnes quelques jours avant noël. Nous avons pas mal d’amis en commun et les années allant, je commence à connaître les autres.
« Au fait, j’ai dit à Charlotte de venir avec son fiancé. »
Bien sûr, Charlotte, elle a un fiancé. Charlie, ma meilleure amie et son amoureux Marc. Ils se sont officiellement fiancés après 1 mois de relation et si j’apprécie beaucoup ce garçon, je lui ai quand même dit que tout allait un peu vite. Ce à quoi elle m’a répondu : « Quand on aime quelqu’un, ça ne sert à rien d’attendre. » Alors que deux mois avant de la rencontrer elle regardait les couples d’un œil critique les considérant comme des dégénérés.

Me voilà donc devant la porte 112 de la résidence de Mahéla, vêtue d’une toute nouvelle robe en taffetas bleu avec un pot de poinsettias rouges et une bouteille de Bourgogne choisie par mon père. C’est Grégoire qui m’ouvre. Je l’embrasse sur la joue et lui laisse par la même occasion une trace de rouge. Dans le salon, entre la télé et le clic-clac repoussés contre les murs, une grande table artisanale a été dressée, elle est composée de plusieurs tables plus petites, recouverte d’une élégante nappe rouge et ornée de bouquets de fleurs en plastique dorées. Alexia n’a jamais vraiment eut beaucoup de goût en matière de décoration, mais  l’effort est acceptable. Greg prend mon manteau, je salue Charlie qui est déjà là ainsi que Marc, déjà collés l’un contre l’autre, puis un autre couple et enfin ma cousine. Instinctivement, je m’assois à côté de ma meilleure amie et heureusement, elle délaisse son chéri pour me parler des derniers ragots en circulation.
Tout le monde arrive au compte goutte par deux ou quatre, évidemment, je retrouve mon cousin Léo, le grand frère d’Alexia, et sa femme Capucine très heureuse de me revoir.
Finalement, alors que toutes les places sont presque prises, la sonnette retentit une dernière fois.
« Ah ! C’est pour Valentinéa ! » S’exclame Alexia. Comme il y a peu de chance que j’ai commandé une pizza alors que je m’apprête de dîner chez ma cousine, tout le monde est fixé sur ce qui « est pour moi » derrière la porte.
Alex va l’accueillir. Je vois alors un jeune homme, très jeune, élégamment habillé qui entre dans la pièce. Il semble surpris de ne connaître vraiment personne et je remarque immédiatement le pas de recul qu’il fait quand Alexia l’attrape par le bras pour lui présenter tout le monde. Le pauvre petit, si jeune et déjà l’instrument de ma manipulatrice de cousine.
« Alors, tout le monde, je vous présente Thomas, c’est un collègue, il est informaticien. »

BINGO ! Je pense en relevant mon sourire. Je l’imaginais bien plus boutonneux et ringard mais il est informaticien !!
Alexia prend son manteau et fait de gros yeux à Capucine qui s’était installée face à moi pour qu’elle cède sa place à mon prétendant forcé. Le petit s’assoit, je suis un peu déçue sur la marchandise, un collègue de ma cousine, je pensais au moins qu’il serait majeur. Il à l’air de ne pas savoir ce qu’il fait là et tandis que nos hôtes lancent l’apéritif, je m’empresse de la mettre à l’aise.

« Alors, Thomas, je suppose que c’est toi mon rencard de la soirée. »

D’accord, ce n’était pas vraiment quelque chose  à dire pour le mettre à l’aise… D’ailleurs, tous les regards se sont tournés vers moi et Charlotte me lance avec horreur :
« Val ! »
Un peu énervée par la surprise réservée par ma cousine je lui jette un regard noir et dis :
« Quoi ? Sérieusement, je n’ai rien contre le fait qu’on m’arrange des rendez-vous, mais assurez-vous au moins qu’il soit en âge de voter ! »
C’était méchant, je l’accorde, mais je dis ce que je pense. Et d’ailleurs, le garçon en question n’est pas sans défense puisqu’aussitôt il me dit en restant calme :
« Pour tout vous dire, Madame, j’ai 25 ans. »
Outch ! Là je suis ridicule. Je laisse le rouge me venir aux joues et le temps d’esquisser un « désolé » timide, Alexia, furieuse se rue sur moi, m’agrippe le bras et me lève violemment pour m’ordonner de la suivre dans la cuisine. Une fois seuls, elle grogne, fait trois pas, s’apprête à me parler puis grogne à nouveau.
« Valentinéa Daphnée Anne Moreau !
-          Tu sais, il n’y a que dans les séries américaines qu’appeler quelqu’un par son nom complet lui fait peur, et en général, ce sont les parents qui s’en chargent.
-          Insolente !
-          Ecoute je suis désolée, j’ai juste voulu détendre l’atmosphère…
-          Ah, c’est gagné ! Mais je travaille avec lui moi, tu te rends compte ?
-          Je suis désolée, vraiment Alex, mais honnêtement, on dirait qu’il à 15 ans, tu as vérifié sa carte d’identité, je suis sûre qu’il ment.
-          Et alors, tu voulais un mec, je t’apporte un mec sur un plateau et toi tu ne trouves rien de mieux à faire que l’insulter ?
-          L’insulter ? C’était un compliment, lui m’a appelé Madame et délibérément, ça c’est  une insulte ! Et je t’avais demandé un homme, pas un petit garçon… »

Je réprime un ricanement, c’est vrai que je n’ai pas été vraiment correcte, voir, pas correcte du tout mais c’est tellement drôle de voir Alexia sortir de ses gonds. Surtout que ça colère vient moins du fait que j’ai ridiculisé son invité que de sa perte de contrôle. Mais pas le temps de lui en parler, Thomas apparait dans l’encadrement de la porte et fait un grand sourire. Personnellement, je me sens de nouveau très mal à l’aise.

« C’est bon, dit-il à Alexia, on va pas s’engueuler pour si peut. »
Celle-ci grogne une dernière fois avant de m’abandonner seule avec lui. Je fais beaucoup moins la fière, répondre à ma cousine, c’est une chose, demander pardon à un inconnu, c’en est une autre. Alors que j’ouvre la bouche pour m’excuser, il me fait un grand sourire et dit :
« Ne t’inquiètes pas, on va retourner dîner, en toute amitié… »
Il esquisse un départ avant de se retourner et me lancer :
« En revanche, ne m’en veut pas, mais je ne prendrai pas ton numéro et je ne te demanderai pas de sortir avec moi dans la semaine. » Puis il s’en va.
 O-Kay ! Je m’étais déjà pris de sacrés râteaux, mais celui-là a la palme. Ce n’est pas comme si j’avais eut la moindre envie de le revoir, mais quand-même !

Comme vous l’aurez deviné, Thomas n’est pas le rendez-vous dont je parle, pour le rencontrer, il faut aller plus loin dans la soirée. Alors que tout le monde a bien mangé, les tasses à café sont vides, les dernières cigarettes consumées dans les cendriers et on s’en va petit à petit. 
Au moment de partir, je me laisse raccompagner par Charlotte et Marc jusqu’à la voiture. Nous nous embrassons gentiment et je monte dans ma petite Twingo jaune canarie. Je lance un dernier « bonne nuit » à mes amis et entame mon créneau sous leurs yeux amusés. BAM ! Je viens de donner un grand coup dans le cul de la voiture de devant qui déclenche une alarme assourdissante à en réveiller le quartier. C’est désormais officiel, ce n’est pas ma soirée !
Charlie et Marc sont morts de rire et me rassure sur l’état des deux voitures tandis que je me dépêche pour sortir ma voiture de cette place d’enfer. Une fois sur la route, BAM ! C’est à mon tour d’être heurtée. L’alarme s’arrête alors, un homme est descendu de la résidence ainsi que les quelques gens encore éveillés à cette heure tardive dont ma cousine et son ami. Je m’écroule sur mon volant. « C’est pas possible ! »  Mes amis frappent à ma fenêtre droite inquiète pour ma santé et le conducteur de la voiture de derrière frappe à la fenêtre gauche, le visage désolé.
Je relève la tête, prend une mine désespérée et descend ma vitre pour saluer mon agresseur involontaire. Je dessine un sourire sur mon visage.
« Mademoiselle, vous allez bien ? Je suis vraiment, vraiment désolée, j’ai glissé sur du verglas ! »
J’élargis mon sourire espérant que les dégâts soient minimes, même si ce n’est pas de ma faute, je n’ai pas vraiment envie de devoir laisser ma voiture au garage pour réparations.
Finalement, je sors avec une très forte envie d’étrangler le jeune homme à la mine déconfite.
« J’imagine bien que vous êtes désolé. » dis-je sèchement avant de me précipiter à l’arrière.
« Et merde ! » Charlotte se rapproche pour me rassurer, ce n’est que de la tôle froissée, oui mais quand même !!!

« Bon, on va faire un constat non ? » dis le chauffard. En deux temps trois mouvements, la fiche est remplie, je suis tellement obnubilée par les dommages faits à ma Twingo que je ne remarque pas le sourire charmeur que me lance l’homme qui s’obstine à soigner le dessin de l’accident.
« Je m’appelle Florent ! » dit-il en me tendant une copie du constat.

Vous voyez où je veux en venir ? Oui, c’est lui !!!
Une fois les papiers en ordres, je le remercie à demi-mot et l’abandonne pour repartir après un dernier encouragement de mes amis.

Le premier contact n’était pas parfait et entre les coups de fil à l’assurance et les rendez-vous chez le garagiste, je n’ai pas cessé de le détester durant presque un mois. Enfin, jusqu’à ce matin.

On est mi-janvier et ma bonne résolution de devenir un couple est loin d’être réalisée. Mon portable chante du Katy Perry, numéro affiché que je ne connais pas. Je réponds laissant ma petite sœur Philo (Elle s’appelle Philomène, oui, nos parents on beaucoup d’humour…) retourner à son bol de céréales.
« Mademoiselle Moreau ? C’est Florent, votre … erm … j’ai emboutit votre voiture. »
Alors il m’appelle comme ça ? Alors que nos assurances ont réglés leurs comptes ? Je me souviens qu’il était mignon non ? Où alors il y a un problème… non, pas encore !!
« Oui, je me souviens de vous… » Lui dis-je un peu angoissée de la mauvaise nouvelle qu’il risque de m’annoncer.
« Euh, je suis encore une fois vraiment désolé, justement, pour me faire pardonner je voulais vous inviter. »
M’inviter ? M’INVITER !!!! Oh mon Dieu, c’est un rendez-vous non ? Aussitôt je laisse un large sourire occuper tout mon visage et répond mielleusement :
« Ah oui ? 
-          Oui, Samedi ça vous irait ? On pourrait se retrouver dans un café en centre ville, j’en connais un très sympa… »
Sa voix change complètement de ton à mon oreille, il passe du méchant tamponneur à l’homme de ma vie potentiel. Je le laisse fixer le point de rencontre ne sachant quoi dire d’autre à part « oui » et une fois raccroché le téléphone Philo sursaute à mon cri si typiquement féminin.

« J’ai un rendez-vous, j’ai un rendez-vous, j’ai un rendez-vous, j’ai un rendez-vous, j’ai un rendez-vous, …. »

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